Extrait de la Lettre de l'APF du 27 septembre 2011
En février 2010 était créé, auprès du Premier ministre, l'Observatoire interministériel de l'accessibilité et de la conception universelle. Ainsi, un nouveau terme acquérait une visibilité politique en France : la “conception universelle”.
De l’ONU à la Banque mondiale, en passant par le Conseil de l’Europe, ce principe de “conception universelle” (Universal design) date de plusieurs années et est international. Les définitions abondent telle la résolution du Conseil de l’Europe du 12 décembre 2007 : « La “conception universelle” (Universal Design) est une stratégie qui vise à concevoir et à élaborer différents environnements, produits, communications, technologies de l’information et services qui soient, autant que faire se peut et de la manière la plus indépendante et
naturelle possible, accessibles, compréhensibles et utilisables par tous, de préférence sans devoir recourir à des solutions nécessitant une adaptation ou une conception spéciale. (…) Elle promeut une conception davantage axée sur l’usager en suivant une démarche globale et en cherchant à satisfaire les besoins des personnes handicapées, quelles que soient les situations nouvelles qu’elles pourront être amenées à
connaître au cours de leur vie. En conséquence, la notion de conception universelle (…) devrait faire partie intégrante des politiques et de la planification de tous les aspects de la société. »
Simple élargissement du principe d’accessibilité, nouveau mode de prise en compte des besoins des personnes handicapées ou principe fondateur d’une autre façon d’envisager la société, que signifie la “conception universelle” ?
Gaucher ou droitier, telle n’est plus la question !
Selon la Fondation Design for all, la conception universelle est « une intervention sur les environnements, les produits et les services visant à ce que tous, y compris les générations suivantes, et sans égard à l’âge, aux capacités ou aux origines culturelles, puissent participer pleinement à la vie de nos sociétés ».
Cette définition montre bien que limiter la conception universelle à l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap serait réducteur. Déjà l’accessibilité ne concerne pas seulement ces personnes mais bien toutes les personnes qui à un moment ou à un autre rencontrent des difficultés et/ou des obstacles dans leurs déplacements : avez-vous déjà pris le métro avec une valise lourde ? A titre anecdotique – et révélateur ! –, la télécommande de télévision a été créée pour les personnes en situation de handicap et au final sert à tout le monde : la conception universelle entre dans une démarche d’amélioration de la qualité de vie pour tous.
Et avec ce principe, on dépasse le concept catégoriel et on pense l’accueil par la société de l’individu dans son ensemble, quels que soient ses capacités, son âge, ses origines, sa physiologie… Ainsi la paire de ciseaux conçue pour les personnes droitières et gauchères !
Au-delà des normes, “l’imagination au pouvoir”
Pour Le Corbusier, « l’architecture est une tournure d’esprit, et non un métier ». La conception universelle passe avant tout par l’acquisition de la “bonne” tournure d’esprit. C’est penser, élaborer, envisager – autrement qu’à l’heure actuelle ! – l’environnement, les biens et les services. C’est transformer ce que l’on perçoit comme des “contraintes” en paris créatifs. C’est l’imagination au service de la réalité sociale, voire économique, tant il est évident que plus on conçoit pour tous, moins cela coûte à la société pour adapter des produits et des espaces non conçus pour tous et/ou pour prendre en compte les besoins particuliers.
La conception universelle repose notamment sur celles et ceux qui sont à l’origine de tous les produits, services, environnements de notre société : designers, concepteurs, architectes… Ce sont ces acteurs qu’il est nécessaire de mobiliser afin qu’ils appréhendent, comprennent et prennent en compte la diversité des publics et des usages, au-delà des normes ! Une prise en compte qui passe par sept principes clés de départ que sont : l’utilisation égalitaire, la flexibilité d'utilisation, une utilisation simple et intuitive, une information perceptible, la réduction des risques, un effort physique minimal, des dimensions et un espace libre pour l'approche et l'utilisation. Toutefois, pouvoirs publics, décideurs
publics et privés, acteurs de la société civile, chacun a un rôle à jouer dans l’acquisition de la “bonne” tournure d’esprit et son application.
Conception universelle et inclusion, fondements du développement durable
En 2000, Frank Bowe, professeur américain, spécialiste et défenseur des questions liées au handicap, utilise la conception universelle dans le domaine de l'éducation afin que celle-ci soit « plus convenable aux étudiants pressés par le temps, plus confortable pour les personnes issues de divers milieux et plus flexible pour les personnes ayant différents styles d'apprentissage ».
En 2011, Edward Steinfeld, professeur d’architecture à l’Université de Buffalo aux Etats-Unis, fait référence à ce spécialiste dans un article consacré à la conception universelle : « Cette citation [de Franck Bowe] rend bien la portée plus élargie de la conception universelle et démontre également qu'elle peut être appliquée aux interventions sociales, comme aux pratiques pédagogiques, de même qu'à l'environnement physique. »
Alors que la société actuelle doit faire face à de multiples enjeux tels que l’exclusion sociale, la diversité, l’éducation… et que d’ici 20 ans, la moitié de la population française aura des difficultés de mobilité en raison entre autres du vieillissement démographique, la conception universelle est un élément fondateur d’une réelle stratégie de développement durable. Avec son corollaire qu’est l’inclusion : dont la Conférence internationale de l’éducation de l’UNESCO disait en 2008 : « Elle [l’inclusion] est donc indissociable de la manière dont on conçoit le type de société et de bien-être que l’on souhaite et de la manière dont on envisage le “vivre ensemble”».
Et vous, le “vivre ensemble”, vous l’envisagez comment ?
Jean-Marie Barbier,
président de l’APF