Texte poignant qu'a déclamé Monsieur Louis Toupet, à l'occasion de la manifestation qui s'est déroulée à la Roche/Yon lors de la journée du 11 février dernier

 

Je fais le rêve…

Je me joins aujourd’hui à mes frères et sœurs de handicap pour participer à ce que l’histoire jugera sans doute plus tard comme l’évidente et légitime revendication d’accessibilité à toute la société des personnes en situation de handicap.

Il y a 40 ans, une première loi importante était votée, instituant entre autres, que tous les nouveaux établissements recevant du public seraient désormais accessibles au handicap moteur, 40 ans ! Puis il y a 10 ans une autre, capitale, plus ambitieuse dite «d’égalité des chances» renforçait la première et l’étendait à tous les handicaps et aux établissements anciens, se donnant 10 ans pour réussir, 10 ans ! Ces lois ont été reçues comme un véritable espoir d’en finir avec notre désolante et désespérante relégation.

Mais 40 ans plus tard, la société n’est toujours pas accessible : 85 % des lieux accueillant du

 public (ERP) ne sont pas accessibles (rapport sénatrice Campion). Les personnes handicapées sont ainsi encore terriblement reléguées sur seulement 15 % du territoire national. Comme sur un ilot sans bateau, comme sur un plateau entouré de montagnes où elles survivraient en dinosaures.  Beaucoup sont, de plus, reléguées dans la pauvreté (800 euros par mois) et des conditions de vie peu dignes, comme exilées dans leur propre pays.

C’est pourquoi nous dénonçons une condition humaine honteuse où nous sommes sommés de choisir n’être que des mendiants ou des héros.

Quand les élus de la République ont transposé en 2005 la directive (avec deux ans de retard) de la Communauté Européenne sur les droits des personnes en situation de handicap, ils signaient un chèque encaissable au plus tard fin 2014 dont tout handicapé se croyait le bénéficiaire.

Force est de constater aujourd’hui en février 2015 que les Pouvoirs Publics (Etat, Région, Départements et Municipalités) ont largement manqué à leurs promesses à l’égard des citoyens en situation de handicap. Le chèque était en bois !

Mais ce n’est surtout pas le moment de se laisser aller au luxe d’affadir notre ardeur ou d’absorber et digérer les anesthésiants et tranquillisants des demi-mesures (Ad’AP) et récents décrets d’assouplissements qui «détricotent» allégrement la loi.

 2015 n’est pas une fin, un enterrement des lois favorables, c’est un commencement.

Ceux qui espéraient que les personnes handicapées avaient seulement besoin de promesses non tenues, de se défouler sur le blog ou dans de petites manifs ponctuelles et actions revendicatrices bafouées et qu’elles se montreront désormais dociles et contentes du sort qui  leur est réservé, feront un mauvais calcul.

Il n’y aura ni tranquillité ni acceptation passive d’un destin contraire, sans qu’on ait accordé aux personnes en situation de handicap, la pleine et entière citoyenneté des droits qui leur reviennent dans tous les aspects de la vie en société et au premier desquels, la liberté de circulation c'est-à-dire d’accès.

Il y a quelque chose que je veux m’efforcer de dire à mes frères et sœurs de handicap : en procédant à la conquête de notre espace légitime, nous ne devons pas nous rendre coupables d’agissements répréhensibles, d’invectives, d’injures, d’amalgames infamants. L’immense majorité de la population est sensible à nos préoccupations et beaucoup œuvrent à leur place, notamment dans les services des Pouvoirs Publics. Les serviteurs de l’état font souvent ce qu’ils peuvent même si les lobbyings sont les plus puissants pour l’instant.

Ceux-ci font d’ailleurs un bien mauvais calcul. La population vieillit et sera confrontée peu ou prou à ce que nous vivons depuis l’enfance, bientôt et sans doute déjà,  cela ne sera plus le problème de quelques handicapés ici ou là mais celui d’une frange considérable de la population surtout dans les régions où, comme dans notre chère Vendée, viennent prendre leur retraite les personnes âgées et où viennent en vacances avec leurs besoins de riches estivants. Il y a, et il y aura, un formidable marché pour ceux qui se seront rendus accessibles : commerces, hôtels, restaurants et cafés, camping et locations, cinémas et salles de spectacles, musées et animations culturelles, cabinets médicaux de tous genres, etc…

Oui, mais, frères et sœurs de handicap ne cherchons pas à satisfaire notre soif de droits en goûtant  la potion de l’amertume et de la rancœur. Ceux qui nous connaissent savent que nous sommes des êtres de joies et souvent bien plus vivants et rieurs que beaucoup d’autres - empêtrés qu’ils sont dans leurs mesquineries quotidiennes - alors que nous, nous avons appris rudement le prix des choses essentielles et savons profiter de l’instant présent.

Cependant le merveilleux esprit militant qui a saisi nos organisations associatives ne doit pas nous entrainer vers la défiance envers tous les valides, tous les décideurs, toutes les personnes chargées d’autorité et de pouvoir de décisions.

 Beaucoup ont compris que le respect de nos droits est lié aux leurs, et pour paraphraser Sartre «le problème des handicapés n’est pas le leur, c’est celui de tout le monde»

Car nous ne sommes pas une communauté autocentrée souhaitant des droits spécifiques. Chaque valide est un invalide en puissance qui veut l’ignorer. Chacun peut devenir, du jour au lendemain, handicapé (ou plus handicapé encore);  sinon la naissance ou l’accident de vie, la maladie ou la sénilité nous y mèneront tous. Il y a des handicapés dans toutes les ethnies, les pays, les nations, les populations humaines, quelques soient l’âge, les couleurs de peau et les religions, les idées politiques ou les orientations sexuelles. En cela, nous sommes universels et nos demandes de même.

Nous ne demandons pas la reconnaissance d’un particularisme, mais que chacun prenne conscience que lui-même d’abord, ou son conjoint ou son enfant ou son frère ou son parent, son ami, son plus proche puisse devenir du jour au lendemain cette personne en situation de  handicap  qui dérange tant dans ses revendications.

Mais nous ne pouvons aller, clopin-clopant ou sur roulettes, seuls au combat. Une première preuve en est, tous les sympathisants et bénévoles valides qui enrichissent et soutiennent nos actions dans notre délégation, et que je salue ici.

Il y a des gens - et ils se reconnaitront - qui demandent aux militants de l’APF «Mais quand donc serez-vous enfin satisfaits ?» ou «De toutes façons vous ne serez jamais satisfaits quoique nous fassions»

Nous ne serons satisfaits que quand tout enfant handicapé pourra accéder à l’éducation comme tous les autres petits enfants et qu’il lui sera possible d’intégrer comme les autres, les collèges, lycées et les Universités.

Nous ne serons satisfaits que quand les lieux de travail seront compatibles avec nos handicaps et que les lois de quotas ne seront plus bafouées parce que chaque personne en situation de handicap, qui en serait capable, pourra contribuer à la bonne marche de la société, se créer un avenir avec un salaire décent et se créer des droits sociaux par ses cotisations et ses impôts.

Nous ne serons satisfaits que quand tous les lieux de santé nous seront accessibles - et c’est un comble d’avoir à le demander - alors que ce sont les premiers lieux d’accueil des malades et des handicapés : hôpitaux, cliniques publiques et privées, cabinets médicaux de toute sorte, organismes de santé … le fameux rapport Campion déjà cité, l’a constaté avec stupeur et déploré amèrement.

Nous ne serons satisfaits que quand la «compensation du handicap» instaurée par la loi de 2005 sera effective dans tous les aspects et totale dans les coûts et que les orientations décidées par les Commissions des Droits des MDPH trouveront une réponse réelle et concrète par des services ou établissements, en nombre et qualité suffisants sans qu’il nous soit donné des «moyennes» régionales anesthésiantes alors que les besoins de la population ne sont pas satisfaits et que les familles envoient leurs enfants à l’étranger, faute de solution française ou sont sommées de garder leur enfant à domicile, sans espoir, sur des listes d’attente interminables de plusieurs mois ou années.

Nous ne serons satisfaits que quand nous pourrons accéder à notre mairie pour voter ou nous marier ou assister aux mariages de nos proches; que nous pourrons aller dans n’importe quel bureau de poste ou banque, dans n’importe quel commerce ou lieu de loisir ou culture.

Nous ne serons satisfaits que lorsque les trottoirs des villes et leurs places seront compatibles comme la loi leur imposait progressivement la mise en accessibilité.

Nous ne pourrons pas être satisfaits aussi longtemps que la liberté de la personne en situation de handicap ne lui permette, qu’à force de savantes stratégies d’ingénierie du déplacement, d’aller d’un petit endroit accessible à un autre tout aussi rare par des chemins compliqués et semés d’embûches (pannes d’installations comme les ascenseurs ou monte-personnes ou simplement utilisation abusive de places de stationnement adaptées, en nombre par ailleurs insuffisant).

Nous ne serons pas satisfaits tant que survivra «l’apartheid ergonomique» auquel nous sommes confrontés.

Nous ne serons pas satisfaits tant qu’il sera fait obstacle à l’exercice de notre citoyenneté pleine et entière et qu’il nous sera empêché d’être des acteurs et auteurs de la vie sociale comme tout un chacun.

Dans le long et lent processus d’humanisation de nos civilisations, notre cause tient à prendre son tour à l’ordre du jour des progrès de l’humanité.

Je vous le dis, ici et maintenant, mes frères et sœurs de handicap, bien que, oui, nous aurons à faire face à de rudes difficultés, aujourd’hui et demain, je fais toujours ce rêve : c’est un rêve profondément ancré dans l’idéal des Droits de l’Homme et du Citoyen qui fonde notre République.

Je rêve qu’un jour notre pays sera le modèle et non pas le mauvais élève de l’Europe en matière d’accessibilité et de droits des personnes en situation de handicap et que s’incarne le credo «tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et droits»

 

Fraternellement vôtre, Louis                                       le mercredi 11 février 2015

Commentaires

  • Le droit de la construction pour les logements collectifs privés prevoit il
    L'accessibilité des handicapés quelque soit leur handicap, aux terrasses privées.
    Libres et égaux?
    Beaucoup de programmes immobiliers récents, notamment Bouygue construit des
    terrasses inacessibles aux handicapés dans les logements.
    Y a t'il une loi imposant l'accessibilité aux terrasses privées des logements pour les personnes handicapés ?Quelle action peut on mener pour établir le droit des
    handicapés à jouir de leur terrasse privative comme tout un chacun ?

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