Paris, le 20 janvier 2012
Décision du Défenseur des droits n° MLD-2012-2
Le Défenseur des droits,
Vu l’article 71-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits ;
Vu le décret n°2011-904 du 29 juillet 2011 relatif à la procédure applicable devant le Défenseur des droits ;
Vu le code électoral ;
Vu la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées
Vu l’avis du collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité du 12 janvier 2011
Saisi par un maire, membre de l’association Valentin Haüy, d’une réclamation relative à la discrimination dont seraient victimes les électeurs non voyants ou malvoyants en raison des modalités de vote auxquelles ils doivent se soumettre, qui auraient pour effet d’empêcher, à leur égard, le respect du principe du secret du vote, le Défenseur des droits a décidé d’organiser un groupe de travail sur le sujet.
Une réunion, présidée la 14 décembre 2011 par Mme Maryvonne Lyazid, adjointe du Défenseur des droits, Vice-Présidente du Collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité, a permis l’expression des différents points de vue de membres du collège, d’associations, d’élus, d’experts, et du ministère de l’Intérieur (liste des participants en annexe) et la formulation de certaines recommandations détaillées ci-dessous, tendant à permettre aux électeurs atteints d’un handicap visuel de voter de façon autonome.
Ces recommandations rejoignent celles en cours de finalisation par le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), qui a été associé aux travaux du Défenseur des droits.
A titre liminaire, il est rappelé que de nombreuses personnes souffrent d’un handicap visuel, en particulier les personnes âgées, souvent également atteintes de troubles auditifs (70% des personnes de plus 75 ans souffrent de troubles de la vision et de l’ouïe). Les personnes âgées représentent une partie importante des personnes composant le corps électoral, lequel représentait, selon l’INSEE, 43, 2 millions d’électeurs fin février 2011.
Le cadre juridique national et international applicable en cette matière s’articule autour trois principes forts : l’égalité entre les électeurs, le secret du vote, l’accessibilité du vote.
La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a modifié le code électoral afin de faciliter l’accès au vote des personnes handicapées. Ainsi, selon l’article L. 62-2 du code électoral, « les bureaux et les techniques de vote doivent être accessibles aux personnes handicapées, quel que soit le type de ce handicap, notamment physique, sensoriel, mental ou psychique, dans des conditions fixées par décret ».
Le décret n° 2006-1287 du 20 octobre 2006, pris pour l’application de la loi du 11 février 2005, dispose que « les bureaux et les techniques de vote doivent être accessibles aux personnes handicapées, quel que soit le type de ce handicap. Le président du bureau de vote prend toute mesure utile afin de faciliter le vote autonome des personnes handicapées » (article D. 61-1 du code électoral).
Si ce dispositif juridique n’appelle pas de modification afin de garantir l’accès au vote des personnes non voyantes et malvoyantes, il convient néanmoins d’adopter des mesures pratiques permettant sa mise en œuvre effective afin, notamment, de garantir la prise en compte du vote de ces personnes et son caractère secret.
II. Comparatif international
Le vote par correspondance, par procuration et la pratique dite du « tiers digne de confiance » pouvant assister l’électeur handicapé sont les modalités le plus couramment utilisées dans la plupart des pays européens.
Certains pays, tels que la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Allemagne ou encore le Canada ont recours à la technique de la « matrice » ou « gabarit » de vote. Le gabarit est un morceau de carton ou de plastique dans lequel est inséré le bulletin de vote et qui comporte des trous alignés aux endroits où il faut marquer son choix. Le scrutateur indique à l’électeur quel trou correspond à quel candidat et l’électeur se rend ainsi seul à l’isoloir pour marquer son bulletin. Cette technique n’est utilisable que pour les bulletins uniques, qui ne sont pas utilisés pour les élections nationales en France.
En Espagne, le ministère de l’intérieur met en place un numéro de téléphone auprès duquel les électeurs s’inscrivent pour recevoir avant le scrutin leur matériel spécifique.
Les pays ayant mis en œuvre le vote électronique l’ont en général évalué négativement, mis à part certains cantons suisses .
Par ailleurs, une étude menée au Brésil et en France a démontré que les machines à voter ne permettaient pas aux déficients visuels de voter de façon autonome sans difficultés .
III. Recommandations
Il convient de rappeler que, pour garantir le secret du vote, et donc permettre à l’électeur de voter de façon autonome, le réclamant estime que les noms des candidats aux élections cantonales, régionales et nationales devraient figurer en braille sur les bulletins de vote.
Cette proposition n’a pas été retenue par les participants, en raison, d’une part, du coût élevé que représenterait l’impression de tous les bulletins de vote en braille et, d’autre part, du faible nombre de personnes aveugles sachant lire le braille.
En outre, la mise à disposition de bulletins de vote en braille se heurte à de sérieuses difficultés pratiques. En effet, le nombre d'imprimeurs susceptibles de détenir le matériel nécessaire pour confectionner de tels documents est restreint, de sorte que les données mêmes de l'impression (coût, localisation de l'imprimeur, délai très court de tirage et de livraison) rendent difficile la mise en œuvre d'un tel dispositif. De plus, les très grandes quantités imprimées supposent des conditionnements occupant le moins de volume possible, ce qui paraît peu compatible avec des documents imprimés en relief, qui pourraient devenir difficilement identifiables par l'électeur, après le transport et la manipulation dans les centres de tri.
Les recommandations retenues sont les suivantes :
Concernant l’information préalable au scrutin :
- Un numéro de téléphone spécifique et une adresse électronique pourraient être mis à la disposition des électeurs aveugles et malvoyants, par les partis politiques, afin d’obtenir des informations avant les élections (attention toutefois à respecter les dispositions du code électoral relatives notamment à la propagande électorale et à ne pas créer des fichiers contraires à la loi « informatique et libertés »),
- Un guide pourrait être réalisé afin d’aider les candidats à rendre accessible leur matériel de propagande. Ex : site internet répondant aux normes W3C (le référentiel général d’accessibilité pour les administrations – RGAA s’impose à toutes les administrations à partir de 2012), documents en caractères lisibles (corps 16) et contrastés, flash code sur les documents. Les documents sur internet doivent être téléchargeables sous divers formats. Les documents PDF doivent être balisés, soit avec acrobat Pro, soit avec des logiciels d’édition PAO.
Concernant les bureaux de vote :
- Les panneaux d’information extérieurs doivent être le plus lisibles possible (ex : Police Arial simple, corps 18, centre du panneau positionné à 1m60),
- Un chemin de guidage de la porte d’entrée du bureau vers l’espace de vote pourrait être mis en place,
- Il conviendrait de veiller à un éclairage du bureau et des isoloirs suffisant, dans le bureau, un niveau d’éclairement au sol de 100 lux minimum, dans l’isoloir, un niveau d’éclairement localisé sur le bulletin de vote à 300 lux minimum peut-être préconisés (éclairage d’appoint dirigé par exemple)
Concernant les bulletins de vote et table de vote :
- Les bulletins pourraient être imprimés en gros caractères à fort contraste visuel,
- A moyen terme, une réflexion sur l’utilisation d’un flash code sur les bulletins de vote pourrait être menée. Le flash code serait apposé sur les bulletins de vote afin de permettre aux électeurs non-voyants ou malvoyants équipés de les scanner afin de les identifier. Mais une telle évolution du matériel électoral ne peut se faire en quelques mois. Au mieux, une expérimentation pourrait être envisagée pour les élections locales de 2014,
- A défaut de pouvoir mettre en œuvre pour les prochaines élections ces deux propositions, il pourrait être recommandé au Ministère de l’Intérieur d’envoyer aux préfectures un modèle de chevalet comportant en caractères très lisibles le nom de chaque candidat (format A 4 cartonné), afin qu’ils soient pliés et posés devant chaque tas de bulletins de vote.
Concernant les machines à voter et le vote électronique :
- Les machines à voter peuvent être utilisées dans les bureaux de vote des communes de plus de 3500 habitants figurant sur une liste arrêtée dans chaque département par le représentant de l’Etat. Elles doivent respecter l’arrêté du 17 novembre 2003 portant approbation du règlement technique fixant les conditions d’agrément des machines à voter. Le règlement technique prévoit notamment qu’elles doivent, d’une part, être conçues de manière à faciliter leur accès et leur emploi aux personnes handicapées et, d’autre part, qu’elles doivent comporter des dispositifs (auditifs, sensitifs ou autres) destinés à aider les malvoyants à effectuer seuls toutes les opérations nécessaires à l’expression de leur vote. L’ergonomie du logiciel doit être identique pour l’ensemble des machines installées sur le territoire. Une formation à l’utilisation de ces dispositifs devrait être proposée auprès des personnes déficientes visuelles avant la journée électorale.
- le vote électronique pour les français établis hors de France sera effectué au moyen de procédés électroniques qui devraient répondre aux conditions d’accessibilité. Il n’est pas envisagé de généraliser cette dérogation justifiée par l’éloignement des bureaux de vote.
Concernant la sensibilisation :
- Il est nécessaire de sensibiliser à la fois les candidats, les responsables des bureaux de vote, ainsi que les personnes concernées, leur entourage et les professionnels du domaine médical encadrant les personnes aveugles et mal-voyantes,
- Les documents réalisés en 2007 par la Délégation interministérielle des personnes handicapées sont actualisés par le CNCPH et mériteraient d’être à nouveau diffusés,
- Les personnels des bureaux de vote doivent savoir comment se comporter vis-à-vis des personnes handicapées : une fiche pratique pourrait être réalisée par le CFPSAA (qui préparera un modèle), et qui sera diffusé à l’AMF par le ministère de l’intérieur,
- Une sensibilisation de l’entourage sur le cadre légal et l’incitation au vote pourrait être préparée par les associations, avec l’aide du ministère de l’intérieur,
- Les personnes concernées et leurs éventuels aide tierce doivent savoir qu’il est possible de préparer son vote à domicile en glissant dans la poche le bulletin choisi (avec l’aide de la tierce personne qui place par exemple les bulletins par ordre alphabétique et laisse choisir l’électeur de façon autonome). Cette même technique peut être utilisée dans l’isoloir à condition que le nombre de bulletins de vote soit restreint. Il convient de préciser qu’il n’est pas nécessaire que l’électeur « aidant » (tierce personne de confiance) soit inscrit dans la même commune ou sur la même liste électorale.
Le Défenseur des droits
Dominique Baudis
Annexe n°1 : participants à la réunion du 14/12/11
Annexe n°2 : cadre légal de l’accès au vote des personnes aveugles et malvoyantes
Participants à la réunion du 14 décembre 2011, présidée par Mme Maryvonne Lyazid, adjointe du Défenseur des droits,
Vice-Présidente du Collège « lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité »
Mme Marie-Eve Aubin, Présidente de section honoraire au Conseil d’Etat, membre du Collège « lutte contre les discriminations et promotion de l’égalité »
M. Hamou Bouakkaz, adjoint au Maire de Paris chargé de la démocratie locale et de la vie associative
Mme Sylvie Ervé, Centre CENTICH (Centre d’expertise nationale des technologies de l’information et de la communication pour l’autonomie)
M. Thierry Jammes, Président de la Commission accessibilité et Mme Louza Ouyed, Présidente de la Commission Nouvelles Technologie, CFPSAA (Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes, composée notamment de Valentin Haüy, Fédération des Aveugles et handicapés visuels de France, Voir Ensemble, Fédération pour l’Insertion des personnes Sourdes et des personnes Aveugles de France), représentants du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH).
Mme Marie-Dominique Lussier, gériatre, directrice du pôle médico-social de l’Agence Nationale d’Appui à la Performance des établissements de santé et médicaux sociaux (ANAP)
M. Yves Michel, Secrétaire Général honoraire de l’Assemblée Nationale, membre du collège « lutte contre les discriminations et promotion de l’égalité »
M. Frédéric-Xavier Potier, Chef du bureau des élections, M. Karim Brahiti, chargé de mission, Ministère de l’Intérieur
Services du Défenseur des droits : Mme Marika Demangeon, chargée d’études, Mme Valérie Fontaine, Secrétariat Général, Mme Chrysoula Malisianou, juriste et Mme Elodie Gama, stagiaire
Cadre légal de l’accès au vote des personnes aveugles et malvoyantes
Préparation du vote à domicile
L’article R 34 du code électoral prévoit l’acheminement au domicile de l’électeur d’un bulletin de vote : cela permet à l’électeur non-voyant de préparer son vote avant de se rendre au bureau de vote.
Assistance par un tiers
Selon l’article L64 du code électoral (depuis 1988), « tout électeur atteint d'infirmité certaine et le mettant dans l'impossibilité d'introduire son bulletin dans l'enveloppe et de glisser celle-ci dans l'urne ou de faire fonctionner la machine à voter est autorisé à se faire assister par un électeur de son choix ».
Vote par procuration
Article L.71 (extrait) : Peuvent exercer, sur leur demande, leur droit de vote par procuration :
a) Les électeurs attestant sur l'honneur qu'en raison d'obligations professionnelles, en raison d'un handicap, pour raison de santé ou en raison de l'assistance apportée à une personne malade ou infirme, il leur est impossible d'être présents dans leur commune d'inscription le jour du scrutin ou de participer à celui-ci en dépit de leur présence dans la commune.
Accessibilité du vote
La loi du 11 février 2005 a modifié le code électoral afin de faciliter l’accès au vote des personnes handicapées. En effet, selon l’article L62-2 du code électoral, « les bureaux et les techniques de vote doivent être accessibles aux personnes handicapées, quel que soit le type de ce handicap, notamment physique, sensoriel, mental ou psychique, dans des conditions fixées par décret ».
Le décret n°2006-1287 du 20 octobre 2006 précise notamment les conditions d’accessibilité physique aux bureaux de vote. Il précise que « les bureaux et les techniques de vote doivent être accessibles aux personnes handicapées, quel que soit le type de ce handicap. Le président du bureau de vote prend toute mesure utile afin de faciliter le vote autonome des personnes handicapées » (art D61-1 du code électoral).
Secret du vote
Le secret du vote est un principe constitutionnel (article 3 de la Constitution), également énoncé par l’article L59 du code électoral.
Bulletins en braille
Le Conseil d’Etat a estimé qu’ « il ne résulte d’aucune disposition législative ou règlementaire que doivent être mis à la disposition des électeurs des bulletins de vote en braille, en système agrandi avec des caractères gras ou comportant la photographie du candidat tête de liste »
Machines à voter
L’article L57-1 du code électoral autorise (sans la rendre obligatoire) l’utilisation de machines à voter dans les communes de plus de 3500 habitants, permettant ainsi aux électeurs handicapés de voter de façon autonome, quel que soit leur handicap.
Vote électronique
L'ordonnance du 29 juillet 2009 relative à l'élection de députés par les Français établis hors de France (article L. 330-13) permet le vote par correspondance ou par voie électronique.
Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées
Article 21 : Liberté d’expression et d’opinion et accès à l’information
Les Etats parties :
-Communiquent les informations destinées au grand public aux personnes handicapées, sans tarder et sans frais supplémentaires pour celles-ci, sous des formes accessibles et au moyen de technologies adaptées aux différents types de handicap;
- Acceptent et facilitent le recours par les personnes handicapées, pour leurs démarches officielles, à la langue des signes, au braille, à la communication améliorée et alternative et à tous les autres moyens, modes et formes accessibles de communication de leur choix;
-Demandent instamment aux organismes privés qui mettent des services à la disposition du public, y compris par le biais de l’internet, de fournir des informations et des services sous des formes accessibles aux personnes handicapées et que celles-ci puissent utiliser;
-Encouragent les médias, y compris ceux qui communiquent leurs informations par l’internet, à rendre leurs services accessibles aux personnes handicapées;
-Reconnaissent et favorisent l’utilisation des langues des signes.
Article 29 : Participation à la vie politique et à la vie publique
Les Etats parties :
-Veillent à ce que les procédures, équipements et matériels électoraux soient appropriés, accessibles et faciles à comprendre et à utiliser,
- Protègent le droit qu’ont les personnes handicapées de voter à bulletin secret et sans intimidation aux élections et référendums publics, de se présenter aux élections et d’exercer effectivement un mandat électif ainsi que d’exercer toutes fonctions publiques à tous les niveaux de l’État, et facilitent, s’il y a lieu, le recours aux technologies d’assistance et aux nouvelles technologies,
- Garantissent la libre expression de la volonté des personnes handicapées en tant qu’électeurs et à cette fin si nécessaire, et à leur demande, les autorisent à se faire assister d’une personne de leur choix pour voter.